L’empreinte éternelle de la marque dans l’histoire
Depuis son premier modèle en 1905, une voiturette Delage Type A à moteur monocylindre De Dion-Bouton 9 ch, Louis Delâge a créé de nombreuses automobiles entrées dans l’histoire, avec une vision supérieure de ce que doit être l’élégance, lui permettant de rafler les premiers prix d’innombrables concours. Son goût pour l’esthétisme ne lui fait cependant pas oublier les performances, si bien qu’il favorise le développement d’innovations pour toujours garder une longueur d’avance et gagner de multiples victoires en courses, ainsi que plusieurs records du monde. À cette époque, il ne s’agit pas d’augmenter la taille d’un aileron de ½ mm, mais bien de se montrer créatif, d’oser, et de prendre des risques. Il serait bien difficile de détailler toutes les prouesses d’ingénierie réalisées par Louis Delâge et ses équipes en seulement quelques lignes, mais revenons néanmoins sur quelques exemples marquants.
En 1916 la Delage Type CO est la première à intégrer des freins à l’avant, ce qui lui permet notamment de gagner le Paris-Nice en 16 heures à 67 km/h de moyenne, sur des routes qui en ce début de siècle ressemblent plus à des sentiers qu’à des pistes. En 1924, la 12 cylindres en V DH de 10.5 litres bat le record du monde de vitesse sur route à 230 km/h. Il multiplie aussi les victoires en championnat, comme celles obtenues au Grand Prix d’Europe à Lyon en 1924, et au Grand Prix de l’ACF à Montlhéry en 1925. Enfin, 1927 marque l’apogée de Delage en course, avec la Delage 155B qui remporte quatre des cinq épreuves inscrites au championnat, ce qui le consacre « Champion du monde des manufacturiers », devant Bugatti et Alfa Romeo.
Par suite du Krach boursier de 1929, les difficultés prennent de l’ampleur et Louis Delâge perd ses appuis si bien qu’en 1935, il est obligé de mettre sa société en liquidation. Malgré tous les périls, un tel patrimoine ne peut pas mourir, et un homme d’affaires, Walter Watney, crée la « Société Nouvelle des Automobiles Delage », qui continue de produire des voitures sur les chaînes de production Delahaye! Cet arrangement salvateur ouvre même la voie à un second âge d’or. Les Delage fabriquées chez Delahaye donnent naissance à une gamme allant de la 4 cylindres DI-12 à la majestueuse D8-120 en passant par la 6 cylindres D6-70, voiture qui remportera un énorme succès. Malgré une reconnaissance mondiale, l’aventure prend fin en 1953 avec l’arrêt de la production, assurée jusque-là par Delahaye, qui sera absorbée par Hotchkiss un an plus tard. Encore une fois, ce patrimoine est sauvé en 1956 grâce au club créé pour perpétuer le souvenir de Louis Delâge, l’image de la marque et fournir aux propriétaires de Delage un soutien logistique.
« En 1924, la 12 cylindres en V DH de 10.5 litres bat le record du monde de vitesse sur route à 230 km/h »
Un projet fou, ultime : l’Hypercar Delage
A l’été 2019, Laurent Tapie prend l’initiative de contacter l’association « Les amis de Delage » : ressusciter Delage est un challenge qui l’intéresse. Après plusieurs rencontres, l’association est convaincue qu’il est le parfait successeur de ce patrimoine unique qu’ils ont pris soin de conserver jusque-là. Un accord est signé le 7 octobre (jour des 45 ans de Laurent Tapie) et les droits de la marque lui sont cédés. Pourtant le projet du nouveau président de Delage automobile est fou, démesuré même : relancer la société avec une Hypercar innovante, qui soit à la fois la digne héritière de ce passé prestigieux, mais aussi la plus performante des voitures homologuées sur la route. Pour y parvenir, Laurent Tapie met une nouvelle équipe sur pied à Magny-Cours, réunissant des ingénieurs, une fabrication et des capitaux, le tout 100 % français. D’ailleurs on ne peut que le reconnaître, l’excellence à la française est une flamme toujours vivante pour ceux qui savent la nourrir.
La nouvelle Delage se nomme « D12 » pour annoncer le 12 cylindres qu’elle accueille, ce qui était le rêve de Louis Delage, après s’être arrêté aux merveilleuses D6 et D8. Concernant le cahier des charges, Laurent Tapie, qui avait déjà possédé plusieurs voitures des « Big 5 » (Porsche, Ferrari, Lamborghini, McLaren et Aston Martin), brûlait de retrouver les sensations que procure une Formule 1. D’où le surnom que recevra la D12 : « La F1 homologuée pour la route ».
Son architecture est unique, conçue exclusivement pour les performances extrêmes et le plaisir. Le cockpit, tel celui d’un avion de chasse, dispose d’une verrière qui s’ouvre sur deux sièges baquets positionnés l’un derrière l’autre, permettant de partager l’expérience à deux. Comme nous l’explique Laurent Tapie : « Ce choix est idéal pour garantir une plus grande rigidité en s’affranchissant des portes. Aussi, l’appui aérodynamique qu’offrent son nez étroit et son aileron de F1 est optimal. Le design global est épuré, mais agressif et futuriste, tout en intégrant un intérieur ultra luxueux. »
Côté performances, elles sont bien sûr époustouflantes, car l’objectif est sacré – ment ambitieux, même si elle a été conçue pour cela : « établir le nouveau record sur le Nürburgring dans la catégorie homo – loguée route ». La tentative est d’ailleurs prévue pour 2024, après que la D12 ait reçu son homologation européenne. Pour optimiser les performances sur circuit, c’est le champion du monde de F1 Jacques Villeneuve qui a la charge des réglages comportementaux de la voiture. Au total, elle affiche 1’100 ch et 1’077 Nm uniquement sur les roues arrière pour propulser ses 1’390kg. 990 ch sont générés par un V12 maison de 7.6 litres, auxquels s’ajoutent quelques 110 ch électriques. Le 0 à 100 km/h est abattu en 2.6 s et le 0 à 200 km/h en 6.5 s ! Autre innovation issue de la compétition, il s’agit de la première voiture homologuée pour la route équipée de la suspension contractive qui a révolutionné la Formule 1. De nombreux détails ont été repensés pour améliorer encore davantage ses performances, comme la sculpture des jantes en fibre de carbone qui intègre désormais le refroidissement des freins. Enfin, cette Formule 1 des routes peut compter sur une force d’appui presque deux fois supérieure à celle des meilleures supercars.
Alors que son homologation devrait lui être attribuée en cours d’année, elle a déjà été élue plus belle voiture du monde (Best design) aux « Automobile Awards », en décembre 2020. Aussi, plusieurs des 30 exemplaires de ce modèle d’exception ont déjà trouvé acquéreur, au prix de deux millions d’euros. Pour la suite, un deuxième concept est à l’étude pour une présentation dès l’année prochaine. Alors, accrochez-vous !