S’il est des relations père-fils complices voir fusionnelles, les vies de Paul-Henri et de son père Bernard sont si fortement imbriquées l’une dans l’autre qu’elles semblent ne former qu’une seule histoire, animée par la même passion automobile.
BERNARD, LE HÉROS DE GUERRE
Fils d’un Colonel fait prisonnier en 1940, Bernard Cahier, alors âgé de 16 ans, quitte Paris pour rejoindre la Bretagne à vélo en 1943. Très patriote, il participe plus tard à la résistance, et va jusqu’à tricher sur son âge pour incorporer la prestigieuse division Leclerc. C’est ainsi qu’il participera à la libération de Strasbourg et à la campagne d’Alsace, sans même avoir atteint sa majorité ! Forgé par la dureté de la guerre, son courage ne le quittera jamais. Plus tard, son charme doublé de son goût pour la lutte, le risque et la victoire, finiront immanquablement par le rapprocher des pilotes de sa génération, pionniers d’une époque où le danger était totalement accepté.
LA PÉRIODE ROMANTIQUE
lI part ensuite en Californie pour « ouvrir le chapitre romantique de sa vie », comme aime à le qualifier son fils. Bernard se fait embaucher chez International Motors à Hollywood, célèbre importateur de voitures européennes de luxe. Heureux hasard ou destins croisés, il se trouve que son collègue n’est autre que Phil Hill avec qui il se noue d’une amitié indéfectible. Il y rencontre également le pilote Richie Ginther, excellent metteur au point, qui gagnera notamment le premier GP du Mexique en 1965. Ce trio d’amis exceptionnel vit ici pleinement sa passion automobile, participant à de nombreuses courses qui bourgeonnent alors de partout. Dan Gurney, Carroll Shelby, Masten Gregory, Ken Miles et tant d’autres forment avec Bernard Cahier une grande famille où tous se connaissent intimement. D’ailleurs, il a même aidé Dan Gurney à trouver un volant en Europe, et à s’y intégrer. À cette époque, participer aux championnats européens implique de déménager réellement. Mais l’attrait de prendre part aux courses du vieux continent est plus fort, avec ses nombreuses marques prestigieuses et circuits mythiques.
PIQUÉ PAR LE SUCCÈS ARTISTIQUE
C’est en couvrant le GP de Monza de 1952 pour le journal l’Action Automobile que débute sa carrière de reporter photographe. Le succès étant au rendez-vous, il en fera son activité principale, allant jusqu’à travailler simultanément pour une douzaine de magazines. Le style de Bernard est apprécié pour sa capacité à être transparent, à se faire oublier derrière son objectif et à saisir l’instant sur le vif, dans son expression la plus naturelle. Remarquable autodidacte, le style de Bernard fera dire qu’il est le Cartier Bresson de la course automobile. Pour s’immiscer dans l’intimité des pilotes, il n’est nullement question de culot, car il fait simplement partie des leurs, partageant les mêmes émotions. « Il nourrit ainsi une amitié sincère avec Fangio, Dan Gurney et bien d’autres, qui venaient parfois dormir à la maison », nous témoigne Paul-Henri. En 1968, Bernard, qui souhaite améliorer le travail des journalistes, fonde l’International Racing Press Association (IRPA), dont il restera le président jusqu’en 1985. À cette même période, le monde de la F1 se professionnalise et se commercialise de plus en plus, ce qui le mène à évoluer aussi en créant sa propre agence de Relations Publiques “Publimotoring” qui connait rapidement le succès avec de nombreux clients tels que Goodyear, UOP (Shadow), Ebel, Gitanes, Saudia airlines, Honda… Enfin, on lui doit le Grand Prix de la Neige à Villars/Ollon, qu’il organise pendant six années de 1969 à 1974, rassemblant tous les plus grands pilotes de l’époque, répondants toujours présents pour Bernard.
Il nourrit ainsi une amitié sincère avec Fangio, Dan Gurney et bien d’autres, qui venaient parfois dormir à la maison.
L’ENTRÉE EN SCÈNE DU FILS PAUL-HENRI
Paul-Henri nait littéralement au milieu de cet univers automobile, et on peut d’ailleurs le voir en 1957, du haut de ses cinq ans, confortablement installé dans le siège de la Maserati de Fangio ! Dès ses dix ans, son père l’emmène avec lui sur différentes courses, dont Monza, où il lui confie un boitier photographique Pentax. Avec seulement quelques explications sommaires, il le laisse partir s’amuser seul, sans se douter encore que son fils possède aussi l’œil du photographe. En attendant, le petit Paul-Henri grandit dans ce monde de course automobile, se baladant aussi librement dans les stands que s’il était à la maison. À cet âge, il est bien difficile de se rendre compte du côté fantastique que revêt cette tranche de vie. Ce à quoi il nous répond si bien: «C’est le temps qui passe qui donne la dimension et la conscience des choses.» À partir de ses quinze ans, il est emmené sur de nombreux GP dans toute l’Europe, où il nourrit avidement son rêve de devenir pilote!
Si les appareils photo modernes permettent de réaliser facilement de belles photos sans effort, avec des modes automatiques très performants, ils ne permettent pas d’offrir ce rendu incomparable.
LA BASCULE DÉCISIVE D’UN TRAUMATISME
Lorsque commence le GP de France de 1968, il ne se doute pas qu’il va vivre une expérience terrible, traumatisante, mais aussi décisive pour le reste de sa carrière. Jo Schlesser et sa femme sont alors de grands amis de la famille Cahier. Mais cette fois, sur le circuit de Rouen, pour son premier Grand Prix, Jo est victime d’un accident mortel au volant de sa Honda. La grande quantité de magnésium contenue dans la voiture rend le brasier incontrôlable. Encore petit garçon, Paul-Henri, situé à seulement 300 m du crash, accourt à sa rencontre et assiste impuissant à cette scène horrible de décombres en flamme. Plus tard après la course, qui ne s’était pas arrêtée pour autant, c’est en développant ses films que le jeune garçon révèle une superbe photo de Jacky Ickx qui gagne le 1er GP de sa carrière. À seulement 15 ans, la photo de Paul-Henri se retrouve en double page du magazine « Champion » ! Dès lors, il ne souhaite plus être pilote mais photographe, au grand soulagement de ses parents. Pourtant, malgré l’évidence de sa vocation qui vient d’être confirmée par ce succès, il vivra sa passion en pointillés durant toute son adolescence.
UN STYLE ARTISTIQUE QUI S’AFFIRME
Il faudra donc attendre le tout début des années 80 pour que Paul-Henri se remette dans une démarche artistique, se cherchant, essayant différents moyens d’extérioriser sa créativité dont il déborde. Puis, comme il le dit si simplement, « la vie vous ramène naturellement vers votre destin, après quelques détours indispensables et qui vous construisent ». Pour lui, être le fils de Bernard Cahier apportait aussi certains inconvénients. Lorsqu’il a commencé, il brulait d’affirmer sa marque pour sortir de l’ombre de son père, et c’est grâce à son style unique qu’il y parvient. Il travaille son cadrage en cherchant à donner une vision très graphique à ses clichés, et en jouant sur le clair-obscur. De plus, Paul-Henri n’utilise que le mythique film Kodachrome qui offre un rendu exceptionnel et unique, et qu’il fait développer dans un labo de Lausanne. Ce film présente la particularité d’être en noir et blanc, avec la couleur qui lui est rajoutée dans un second temps lors du développement en laboratoire. Il nous confirme que «Si les appareils photo modernes permettent de réaliser facilement de belles photos sans effort, avec des modes automatiques très performants, ils ne permettent pas d’offrir ce rendu incomparable.»
AYRTON, SON SUJET DE PRÉDILECTION
Pour Paul-Henri, l’évènement le plus marquant de sa carrière a sans aucun doute été la disparition d’Ayrton Senna en 1994. « Cet épisode tragique marque un avant et un après », nous confie-t-il. « J’étais tellement fasciné par le personnage, à la fois par sa personnalité, mais aussi par ses capacités exceptionnelles, par son charisme qui vous intrigue, difficile à saisir, très complexe, mais en même temps extraordinairement émotionnel. » Sujet d’éternelle fascination de Paul-Henri, « il était impossible de ne pas ressentir la puissance d’Ayrton en étant à ses côtés, et c’est un honneur exceptionnel d’avoir pu le côtoyer, car de tels hommes n’apparaissent qu’une fois par siècle, peut-être. » Juste avant l’accident fatal, dix secondes tout au plus, Paul-Henri, alors absorbé par la course, l’immortalisa pour la dernière fois de son regard admiratif pour le maître.
Cet épisode tragique marque un avant et un après