[eltdf_dropcaps type= »normal » color= » » background_color= » »]N[/eltdf_dropcaps]é le 4 juillet 1948, René Arnoux partage avec les fondateurs des États-Unis un esprit d’indépendance. Dès son enfance, il démontre des talents exceptionnels pour la conduite. Tout a commencé dans les années 50 lors de ses vacances. À l’âge de huit ans seulement, en vacances avec ses parents sur la côte adriatique, la famille passe à côté d’une piste de karting. Plein d’enthousiasme, il demande immédiatement : « Papa, je veux essayer ! » Sans hésiter, il est installé tant bien que mal au volant d’un kart. Malgré sa petite taille, il montre une habileté naturelle étonnante. À cette époque, le sport en est à ses débuts, en particulier en Italie où de nombreuses troupes américaines sont encore présentes, lieu de sa création. Le responsable de la piste est stupéfait par le talent évident de ce jeune prodige.
C’est donc pendant ses vacances qu’il découvre sa passion qui ne le quittera plus : le pilotage. Au cours des années 60, il suit les filières établies qui mettent en valeur les pilotes les plus prometteurs de leur époque. Parallèlement, il poursuit une formation professionnelle chez Conrero, une figure légendaire de la mécanique que les passionnés d’Alfa Romeo de l’après-guerre connaissent bien. C’est là qu’il acquiert des compétences en mécanique de précision, qu’il adore, ainsi que deux éléments que les jeunes pilotes d’aujourd’hui ne connaissent plus : la connaissance approfondie de la mécanique et de ses limites, et surtout, le respect et le contact avec ceux qui préparent les voitures pour la course du lendemain. Aujourd’hui, ce respect humain a été remplacé par des écrans, soulignant ainsi un changement dans la manière d’aborder la préparation des véhicules.
Sur le plan sportif, sa consécration arrive en 1972 lorsqu’il remporte le prestigieux titre de « Volant Shell ». Cette victoire ouvre la voie à une carrière magnifique qui l’attend.
Le responsable n’en revient pas tant l’habilité naturelle du gamin est évidente.
Jugez plutôt son incroyable parcours. En 1973, René Arnoux remporte avec brio le Challenge Européen de Formule Renault, suivi en 1975 du prestigieux Challenge Formule Renault Europe. Son talent continue de briller et en 1977, il est couronné Champion d’Europe de Formule 2. Sans perdre de temps, il franchit directement les portes de la Formule 1 en rejoignant l’écurie de Tico Martini, qui est alors novice dans la catégorie reine. Malgré les performances éclatantes de l’écurie Martini dans les catégories F3 et surtout F2, la compétition en Formule 1 s’avère trop intense, ce qui pousse l’écurie à se retirer en cours de saison. Après une brève expérience chez Surtees, également en difficulté, René Arnoux se voit offrir une opportunité au sein de l’écurie « nationale » Renault dès 1979, à un moment où la Régie se distingue avec sa motorisation turbo prometteuse. Bien que l’écurie ne remporte qu’un seul Grand Prix, celui de France, cette victoire, remportée par Jabouille, n’a pas laissé une empreinte aussi marquante que le combat légendaire entre les deux « chevaliers du risque », Villeneuve et Arnoux, qui a captivé les esprits de générations entières.
« Le responsable n’en revient pas tant devant l’habilité naturelle évidente du gamin. »
Rembobinons. Nous sommes sur le difficile circuit de Dijon, à sept tours de la fin. Ces deux hommes, unis par une amitié solide en dehors des paddocks, n’en sont pas moins des rivaux féroces sur la piste. Arnoux, ayant rejoint Villeneuve, décide d’engager une lutte sans merci. Pour ceux qui ont suivi le direct de Jacques Deschenaux, le commentateur inégalé de cette discipline, faillit en perdre la voix tellement l’action était intense. René se souvient que les deux monoplaces, lancées à plus de 200 km/h, se sont touchées 7 fois dans les trois derniers tours ! Gilles finit deuxième et René troisième, mais peu de gens se souviennent de qui était le premier. René aime raconter une autre anecdote de sa complicité avec Gilles Villeneuve.
Aux essais du Grand Prix des États-Unis à Watkins Glen, nous discutions et Gilles me demande : « La courbe au fond de la ligne droite avant les stands, tu passes à fond ? » Je lui répondis que non, je soulageais à l’entrée puis gaz à fond. « Moi aussi, » me répondit-il, « mais je me demande si ça passe. » Lors de la reprise des essais libres après quelques tours, je vois la voiture de Gilles détruite dans le rail. Sans hésiter, je sors de ma propre voiture et vais voir si Gilles n’était pas blessé. Il était en pleine forme et me chuchote à l’oreille : « La courbe du fond, ça ne passe pas pleins gaz ! » Voilà qui en dit long sur cette belle camaraderie teintée de rivalité. On imagine bien son effroi lorsque, après avoir percuté l’arrière de Jochen Mass, Gilles s’est tué en retombant la tête la première sur la piste, après que son siège se soit arraché de la coque.
René Arnoux remporte les Grands Prix du Brésil et d’Afrique du Sud en 1980, puis ceux de France et d’Italie avec Renault. Ses résultats chez Renault étaient suivis de près à Maranello. Un jour, il reçoit un appel d’Italie pour fixer un rendez-vous avec le « Commandatore » en personne ! Comme il s’en souvient encore, « Quand tu as un tel rendez-vous, plus rien ne compte et la fébrilité te gagne », et il continue en disant, « et je te dis pas quand tu l’as en face de toi ». Tout s’est décidé lors de cette rencontre. Étant deux personnalités qui misent sur l’authenticité, le courant passe immédiatement, et après une simple poignée de mains, il est convenu que René endossera la combinaison dont rêve tout pilote de F1, celle arborant le cheval cabré pour la saison 1983 !
Cependant, le « patron » avait l’habitude d’attendre le Grand Prix d’Italie pour annoncer les transferts. Or, ce Grand Prix a été remporté par René Arnoux devant Tambay et Andretti. L’occasion était rêvée pour déclarer : « Aujourd’hui, il y a trois pilotes Ferrari sur le podium », officialisant ainsi son arrivée à la Scuderia !
C’est le début d’une fantastique épopée entre ces deux hommes unis par la passion de la mécanique. Lors d’un déplacement à Fiorano en 2021, René m’a confié sur la terrasse surplombant la piste : « Tu vois la petite maison au milieu ? C’est là que M. Ferrari aimait prendre son repas, et parfois, alors que j’enchaînais les tours d’essais privés, son majordome venait au bord de la piste et m’arrêtait pour me dire : ‘M. Ferrari souhaite déjeuner avec toi' ». S’ensuivait un tête-à-tête sans témoin au cours duquel le pilote expliquait ses sensations au « père » ! Une telle proximité est impensable aujourd’hui. « C’était une autre époque », confie volontiers René avec énormément de reconnaissance envers celui qu’il appelle encore respectueusement « Monsieur Ferrari ». Cette gratitude tranche avec ceux qui, une fois remerciés, n’ont eu de cesse de critiquer. Il faut dire que c’est au volant des monoplaces de la Scuderia qu’il a remporté le plus de victoires en une saison. Durant la saison 1983, il a gagné les Grands Prix du Canada, des Pays-Bas et d’Allemagne.
Quand tu as un tel rendez-vous, plus rien ne compte et la fébrilité te gagne.
Le départ de chez Ferrari restera un mystère bien gardé par René. Toutefois il n’affectera jamais sa profonde admiration pour « Monsieur Ferrari ». Il continuera chez Ligier, mais malheureusement les machines ne sont pas assez compétitives et René se retire de la compétition après une brillante carrière de 162 courses, 18 pole positions, 22 podiums, une troisième place au championnat du monde F1 en 1983 et surtout 7 victoires en GP. Petite précision, en 1983 Ferrari a remporté le titre « constructeur ». René me raconte l’anecdote d’une conversation au cours de laquelle le « commandatore » lui a dit « Rapportez-moi le titre constructeur, pour celui des pilotes, débrouillez-vous ».
A la fin de sa carrière de pilote F1, René Arnoux est retourné dans la discipline qui lui a fait goûter au pilotage, le karting. Il a possédé 4 pistes de karting indoor, deux en région parisienne, une dans la région lyonnaise et une à Aix-en-Provence.
Mais sa grande reconversion, ce sera l’horlogerie. Sa passion pour l’horlogerie
de précision, à laquelle il s’était initié chez Conrero, ainsi qu’en Suisse au Sentier pour être précis. Il entre au capital de kif- parechocs qui exploite une technologie de pointe utilisée par l’ensemble de l’industrie dont il est un fournisseur.
Sur le plan automobile, il est resté proche de Ferrari, plus précisément des amateurs de F1 historiques d’une part et des propriétaire-pilotes de FXX-K qu’il conseille et fait bénéficier de son énorme expérience.
En conclusion, René Arnoux, aujourd’hui âgé de 73 ans, reste un éternel ado qui partage sa vie entre ses deux grandes passions. L’horlogerie en Suisse et la course automobile en Italie. Par-dessus tout, il reste une personnalité enjouée à l’esprit vif. Au volant, je peux vous garantir qu’il n’a rien perdu !
Merci à lui de nous avoir permis de partager son univers le temps de cette interview.