Plaidoyer pour un circuit automobile en Suisse
[eltdf_dropcaps type= »normal » color= » » background_color=« »]U[/eltdf_dropcaps]ne législation étonnante
Si la Suisse peut s’enorgueillir d’héberger les principales fédérations internationales de sports mécaniques, de nombreux champions, et un parc automobile faisant la part belle aux véhicules premium, on déplore toujours l’absence d’un circuit digne de ce nom dans la confédération.
Alors certes, la législation autorise les cantons à organiser des courses sur des tracés temporaires, que ce soit pour les spéciales de rallye, ou pour des courses de Formule E en ville. Cependant, on conviendra qu’un circuit sécurisé, sans arbre, ni maison, ni surprise sur le bitume, devrait également trouver un avis favorable. Or il n’en est rien.
Autre concession, il est permis des activités sur circuits fermés, mais sans chronomètreet donc sans compétition, ni possibilité de progresser dans son sport. D’ailleurs l’unique pseudo circuit des TCS à Lignières (NE) ne permet que des cours d’instruction sur sa mini piste de 1.35 km aux 6 virages, lorsque celui de Bremgarten (BE) faisait 7.28 km en 1955.
Il n’y a donc toujours aucune place pour un pilotage récréatif et sécurisé.
L’histoire d’un traumatisme vieux de 66 ans
Cette situation trouve ses racines dans un évènement dramatique qui a plongé le pays dans une forme d’obscurantisme depuis déjà 66 ans. Lors des 24h du Mans de 1955 (en France), un accident horrible provoqua la mort instantanée de plus de 70 personnes, avec plus de 120 blessés. La Mercedes 300 SLR de Pierre Levegh, voulant éviter un accrochage avec une Jaguar qui freina tardivement pour entrer aux stands, fit un écart et trouva une Austin Healey sur laquelle elle prit appui pour être éjectée dans les gradins qu’elle traversa pour y exploser, au milieu d’une foule compacte. L’explosion fut telle qu’elle propulsa une multitude de débris à la ronde dont le moteur et le pont. Une accusation pour additif interdit dans le carburant fut même lancée, tant la puissance de la déflagration sembla énorme.
La réaction fût radicale, émotionnelle, et sans appel :L’interdiction à tout sport automobile en Suisse, tamponné par l’article 52 de la loi sur la sécurité routière. Depuis, notre système conservatif verrouille toute velléité de changement, jetant au rebus chacune des initiatives lancées jusqu’à maintenant. Que ce soit celle du député Ulrich Giezendanner en 2003 pour lever l’interdit, ou encore celles visant à créer des circuits dans le Jura ou en Valais.
Les arguments des partisans ne manquent pourtant pas
Il semble même que tout le monde aurait à y gagner
Le marché est présent et attend :
- Selon l’OFS, en 2020, notre parc auto comptait 4.7 millions de véhicules de tourisme. Et des chiffres publiés par la RTS indiquent qu’en 2017, 43% de ces autos avaient un moteur de plus de 160 ch, et 11% dépassaient même les 270 ch ! Ce qui représente pour ces dernières un total non négligeable de 517’000 bolides. Oui, cela fait beaucoup pour des véhicules qui ne peuvent s’ébattre pleinement que sur circuit.
- Lesmotardsaussi sont concernés car ils pourraient aussi en profiter.
- La formation des policiers, ambulanciers, pompiersdépend en partie ce type d’infrastructure.
- Tout comme le grand nombre de pilotes résidents, qu’ils soient encore jeunes ou déjà célèbres.
- Sans oublier la presse automobilequi, elle aussi, est systématiquement obligée de passer les frontières.
L’industrie en bénéficierait également :
- De nombreuses entreprises nationalessont parties intégrantes de la sphère automobile, sans pour autant bénéficier des infrastructures adéquates : Sauber, Kyburz, Rebellion-motors, GreenGT, les préparateurs, …
- Les grandes écolesqui participent à l’éco-marathon dont l’objectif est de faire le plus de kilomètre possible avec seulement un litre d’essence.
- Les fédérations internationalestelles que la FIA et la FIM, qui sont basées sur le territoire, auraient la tâche facilitée pour organiser des évènements locaux.
- Cela favoriserait aussi probablementla résurgence ou la création de marques nationales, à l’instar de Martini, Stella, Hispano-Suiza, et autres merveilles enfouies dans nos musées.
Notre patrimoine serait mis à l’honneur :
- Les nombreux clubs de voitures anciennes auraient un endroit pour se retrouver et faire vivre notre histoire automobile en toute sécurité.
Une fonction éducative pourrait être développée :
- Les jeunes conducteurs, avides de sensations, y trouveraient un exutoire sécurisé. L’interdiction stricte est beaucoup plus dangereuse dans ce sens qu’elle ne retient que les plus dociles et reporte les comportements dangereux sur des routes ouvertes à tous.
- Alors que grâce à un circuit accessible, les novices pourraient apprendre les limites de leurs voituressans pour autant mettre leur vie ou celle des autres en danger. En effet, une fois qu’un utilisateur connaît les limites d’une machine, quelle qu’elle soit, il est beaucoup plus rare qu’il en fasse un usage dangereux.
Un circuit sur le territoire serait donc économiquement très profitableet permettrait dans le même temps d’apporter plus de sécurité à l’ensemble de la communauté.
Une opposition emprunte de bons sentiments
Coté opposition, on retrouve les écologistes avec leur prohibition qui nous impose leur morale et leur vision d’un monde meilleur, peuplé d’hommes nouveaux se détournant « des moteurs puants et polluants, de ces jeux indignes de la Rome antique »(Franziska Teuscher). Mais que connaissent-ils de l’histoire automobile, de cette formidable aventure humaine qui nous unit sous les valeurs de la liberté, de l’audace, de la créativité et du progrès technique ? Alors que sans cette passion qui nous habite, nous consommerions encore 30 litres aux 100 km. Sans parler de l’ensemble des navires et de nombreux aéronefs auxquels bénéficient directement le développement des moteurs automobiles.
Et pourquoi forcer à tout prix les adeptes de sports mécaniques à parcourir des centaines de kilomètres pour dépenser l’essence et l’argent de leur passion hors des frontières ? Et qui prend sa part de responsabilité lorsque les plus jeunes cherchent leurs limites sur routes ouvertes ?
Un environnement à respecter
Alors oui, il y a néanmoins des observations à prendre en compte pour ne pas faire n’importe quoi. Et il faut garder à l’esprit que l’objectif est d’avoir un circuit pour la conduite sportive ouvert au plus grand nombre. En somme, il faut veiller à ne pas être trop gourmand, en évitant de se laisser griser par les opportunités pharaoniques qu’un vrai circuit pourrait offrir, et qui ont déjà été fatales aux projets précédents. Voici donc quelques idées non exhaustives de limites à se fixer :
- Toutes les réglementations relatives à de nouvelles constructionsdoivent être respectées
- Un circuit ne doit pas impliquer la destructionde forêts, ni de mise en danger de la faune
- Lenombre de places sur le Tarmacdoit être limité, et être assuré par une réservation préalable
- Le nombre de places dans les gradinsdoit être limité, en fonction des exigences de la localité
- Letype de courseschronométrées auxquelles le circuit pourra prétendre doit être discuté en amont avec les communes concernées
- Le niveau sonore et la pollutiongénérée par son activité ne doit pas importuner les riverains
Ce dernier point est le plus sensible, car il dépend d’une appréciation très subjective, fondée sur des jugements de valeur très personnels. Chacun estime son droit à polluer selon ses convictions, ou plus prosaïquement, selon ses propres centres d’intérêts. C’est pourquoi voyager en avion est bien accepté alors que prendre du plaisir au volant va plus volontiers être jugé comme stupide. Mais là encore, ne peut-on pas réutiliser tout ce patrimoine abandonné d’anciens stands de tir ou d’aérodromes militaires pour les rendre à une activité qui est beaucoup moins bruyante et polluante ?
L’aérodrome de Rarogne qui accueilli le tir fédéral de 2015 ferait bien l’affaire
Un futur dénouement heureux où tout le monde serait gagnant ?
Alors maintenant que la nouvelle vague a eu gain de cause en chamboulant le marché automobile mondiale, imposant la fée électricité partout (sans doute par excès de fée verte), sera-t ’il enfin possible de jouir d’un circuit récréatif et sécurisé ?
Car on y est. Malgré des pronostiques qui se sont toujours avérés faux, la part de l’électrique décolle enfin avec 43’400 unités en 2020, contre 28’700 unités en 2019 et 750 unités en 2018 (source: OFS). La tendance est désormais claire, même si la pente reste encore difficile à extrapoler. Cependant,la rentabilité d’un circuit entièrement dédié à l’électrique semble de plus en plus opportune. Le seul investissement supplémentaire à prévoir par rapport à un circuit européen serait l’acquisition de chargeurs rapides pour permettre aux clients de rentrer chez eux après une belle journée de plaisir au volant.Ce rêve semble donc devenir possible, et j’espère voir bientôt apparaitre un nouveau porte étendard qui obtiendra enfin gain de cause !